ANTICIPER LES FLUCTUATIONS POUR MIEUX RÉSISTER
Fini la sécurité des prix stables. Place au yo-yo avec, à la clé, la nécessité de jouer sur tous les postes pour tenir bon. Un nouveau défi qui se gagnera par la réflexion.
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INUTILE DE PESTER CONTRE LES CHINOIS, LES RUSSES OU BRUXELLES ! La volatilité, issue de la mondialisation, s'est durablement installée et les éleveurs n'ont pas d'autres choix que de s'y adapter. Cette volatilité concerne les prix de vente comme ceux des intrants. Et elle englobe les volumes de lait livré avec la fin des quotas laitiers. Habitués à un environnement particulièrement stable durant trente ans, les éleveurs doivent donc intégrer le fait que tout peut désormais bouger autour d'eux.
À eux de prendre conscience des cartes qu'ils ont en main. Car si une partie des fluctuations est subie, les éleveurs peuvent encore jouer sur leur maîtrise technique pour optimiser les coûts de production et les prix de vente. Ils disposent aussi d'une marge pour mieux acheter.
SANS OBJECTIF, ON NE VA NULLE PART
Tout ce qui permet d'améliorer les plus-values réduit la sensibilité à la volatilité. Il faut donc apprendre à gérer autrement.
Avec ou sans volatilité, la réussite d'une entreprise dépend d'abord de la cohérence du projet de son dirigeant. Si l'on n'a pas d'objectif, on ne va nulle part. Il faut savoir où l'on veut être dans cinq ans, dans dix ans. Puis se donner les moyens d'y aller, compte tenu des aléas. Chez Cogédis, Guy Lemercier constate que « dans les Gaec qui ne fonctionnent pas, on trouve toujours une différence de vision entre les associés. Le projet n'est pas assez bien défini ou alors pas partagé ». À l'inverse, ceux qui réussissent ont tous une ambition claire en fonction de laquelle ils décident.
Car quand on hésite, on passe à côté des opportunités faute d'être capable de décider vite. Or, dans une conjoncture et un environnement qui fluctuent beaucoup et rapidement, cette capacité à décider devient un facteur de succès. Par exemple, veut-on développer le lait et donc la surface fourragère, ou préserver des cultures de vente ? Il s'agit d'un choix stratégique qui ne doit pas être remis en cause à chaque évolution brutale des cours.
De la même manière, il faut savoir déléguer pour pouvoir se concentrer sur l'essentiel. Sachant que tout peut-être délégué, sauf la stratégie et la gestion financière. Beaucoup d'éleveurs ont vu leur production augmenter depuis quelques années et se sentent débordés. Le nez dans le guidon, ils ne sont plus en mesure de faire face aux difficultés engendrées par la volatilité.
Déléguer implique de se rendre dépendant d'un tiers, associé ou salarié. Cela suppose de définir les tâches, de les attribuer, et de faire confiance. Ce qui nécessite de conserver un droit de regard pour s'assurer que cela fonctionne.
Si l'on ne veut pas ou si l'on ne sait pas déléguer, cela implique souvent de ne pas se développer. Un choix qui peut se justifier et qu'il faut assumer.
UN CRITÈRE ESSENTIEL : MARGE SUR COÛT ALIMENTAIRE
L'enjeu est de se rendre disponible pour gérer. La volatilité impose de suivre de nouveaux critères de gestion au premier rang desquels la marge sur coût alimentaire. Car elle est déterminante pour le revenu, tout autant que le prix du lait. Les éleveurs ayant clôturé au dernier trimestre 2013 chez Cogédis affichaient un coût de production à 345 €, hors rémunération du travail et du capital. Un record dû au prix des intrants et notamment des achats d'aliments. La marge sur coût alimentaire et le coût de production doivent désormais être suivis mois par mois de façon à anticiper les difficultés de trésorerie.
DÉTERMINER LE PRIX D'ÉQUILIBRE POUR L'ANNÉE EN COURS
Autre indicateur déterminant, le prix d'équilibre. C'est celui qui permet de couvrir les dépenses. Les comptables le calculent généralement pour l'exercice terminé. Mais cela ne suffit pas. Pour anticiper les tensions de trésorerie, il faut évaluer le prix d'équilibre pour l'année en cours. C'est possible avec une marge d'erreurs raisonnable en réalisant différentes hypothèses. Il faut prévoir une marge de 10 % pour pouvoir faire face aux aléas climatiques, sanitaires ou autres. Guy Lemercier indique que ceci permet à l'éleveur de suivre sa situation de trésorerie en continu. Il peut ainsi prévoir quand elle sera excédentaire ou, au contraire, quand il risquera d'en manquer.
De plus, quand les prix bougent rapidement, on ne peut plus se contenter d'attendre la remise du bilan pour évaluer l'exercice. Il faut un suivi plus rapproché, une gestion budgétaire. En clair, l'idéal est de calculer son budget par trimestre, voire par mois. Les serristes, exposés à une très forte volatilité, font un suivi budgétaire à la semaine. L'objectif est de repérer rapidement, poste par poste, les écarts éventuels entre l'objectif et la réalité. Si cela se produit, il faut réagir vite pour ne pas déraper.
Autre voie d'adaptation aux fluctuations des cours, la gestion des achats peut être raisonnée autrement. C'est l'un des moyens de gérer la volatilité de ses approvisionnements. L'objectif est de définir les produits et les services dont on a besoin, puis de sélectionner le meilleur fournisseur. Dans certains cas, le prix sera déterminant dans le choix. Mais pas toujours. L'éleveur peut également travailler avec des partenaires avec des exigences de rentabilité du service. Ce peut être le cas avec un vétérinaire qui suit le troupeau dans un objectif de limitation des problèmes sanitaires. Mais la négociation sur la base d'objectifs à atteindre est également envisageable avec le fabricant d'aliment, l'entreprise de sélection... Tout ceci permet de cadrer les dépenses et de les conditionner à un résultat.
Et en fin d'année, un bilan permet de vérifier si les objectifs sont bien atteints.
Par ailleurs, dans un contexte de volatilité, c'est la productivité qui fait la rentabilité. Plus une unité (personne, vache, hectare, matériel...) est productive, plus l'exploitation est robuste vis-à-vis de la volatilité. Il faut donc mesurer cette productivité sans tabou et suivre son évolution.
DISPOSER D'UNE ÉPARGNE SÛRE, MOBILISABLE ET RENTABLE
Enfin, tout ceci ne met pas à l'abri des coups durs. La volatilité des prix expose tous les éleveurs à des manques de trésorerie ponctuels. Pour y faire face, ils doivent absolument disposer d'une épargne de précaution mobilisable rapidement. On ne peut plus, comme par le passé, réinvestir les excédents ou les prélever pour sa famille. La pérennité de l'exploitation est liée à l'existence de cette réserve. Il s'agit d'une autoassurance.
Confrontés depuis longtemps à cette situation, les éleveurs de porcs ont l'habitude de prélever chaque mois la même somme pour leur famille. Une somme calculée en fonction de leurs besoins et de la capacité de l'entreprise. Le reste, quand il y en a, est mis de côté.
Il n'existe pas de règle pour définir le montant souhaitable de cette épargne. Tout dépend de la situation de l'exploitation.
Différents placements existent. La première qualité de cette épargne est d'être sûre. Il ne s'agit donc pas de choisir des placements spéculatifs qui ne garantissent pas le capital. Ensuite, elle doit être mobilisable rapidement. Le troisième critère est celui de la rentabilité. Il faut donc faire le plein des placements défiscalisés. L'assurance-vie peut aussi être une bonne option pour peu que les placements et les retraits soient libres. Cette épargne de précaution peut générer des conflits entre associés car elle implique un arbitrage entre les dépenses de l'entreprise et les prélèvements privés. Sa nécessité doit être discutée et approuvée en assemblée générale. Tout doit être formalisé et écrit pour éviter les tensions par la suite.
Au-delà de la volatilité des cours, la fin des quotas laitiers se traduit par une volatilité des volumes. Chaque laiterie a sa stratégie qui conditionne les opportunités pour les éleveurs. Mais une majorité peut désormais se poser la question du développement de sa production. Et des livraisons supplémentaires seront souvent possibles ponctuellement. Cela rejoint le projet de l'éleveur. Il ne s'agit pas de se jeter sur toutes les opportunités mais de bien identifier celles qui sont favorables à la pérennité de l'exploitation.
Des outils de gestion de la volatilité sont à l'étude à l'échelle de la filière européenne. L'idée d'une assurance de la marge est en réflexion. Elle s'inspire du Farm Bill (politique agricole) américain qui a créé une assurance sur les marges, financée en partie par l'État.
Au niveau des laiteries, les marchés à terme sont présentés comme un outil permettant de mieux gérer la volatilité. Euronext va en lancer trois dès ce printemps.
Ces marchés permettent de se couvrir à moyen terme avec des prix connus. Une première tentative avait échoué il y a trois ans, faute d'intérêt de la part des intervenants. La disparition des quotas pourrait changer la donne. À suivre donc. Mais dans l'immédiat, il appartient à chaque éleveur de réfléchir à la conduite de son exploitation de manière à réduire sa sensibilité aux aléas.
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